Les bossages
Les bossages – au nombre exceptionnel d’environ deux cents - sont sans doute l’énigme la plus captivante de la Tour du Moulin. Il ne se passe pas un seul jour de la saison d’ouverture sans qu’un visiteur ne cherche à comprendre la présence de ces gibbosités minérales sur les murs.
Nous possédons plusieurs explications fantaisistes dont les chroniqueurs se sont fait l’écho dans les siècles précédents et nous avons toujours plaisir à les relater à nos visiteurs, tant ces justifications ne manquent pas d’humour.On a pensé à une utilité balistique de ces bossages sur lesquels les boulets de canon auraient ricoché, les empêchant ainsi de nuire à l’intégrité de la maçonnerie. Mais dans ce cas pourquoi n’y en a-t-il qu’en hauteur, et non pas dès le soubassement de la tour ? Ou plus simplement, ces gibbosités par leur image représentant des boulets auraient eu une fonction dissuasive sur les ennemis. Viollet le Duc quant à lui est catégorique quand il explique que « les bossages hémisphériques se trouvent souvent sur les parements des fortifications élevées au moment de l’emploi régulier de l’artillerie à feu. Ils figuraient évidemment des boulets ».
L’origine des bossages a parfois été liée à l’histoire du monastère des bénédictines de Marcigny, auxquelles le moulin appartenait. On a raconté que les maçons s’étaient moqués des religieuses en affublant la Tour du Moulin de seins de tailles différentes. Cette anecdote légère n’a rien d’une vérité historique puisqu’il est peu probable que les prieures de Marcigny, fières de leur autorité seigneuriale sur un immense territoire dépassant la région du Charolais-Brionnais, aient accepté qu’on représente leur féminité avec autant d’audace.
Une autre légende voudrait que les bossages soient les symboles de la fonction « alimentaire » du moulin du couvent de Marcigny. Le bâtiment aurait été couvert de mamelles nourricières afin d’indiquer la production de farine essentielle à la confection du pain, l’aliment de base à l’époque médiévale.
En approfondissant nos recherches sur la fonction décorative des bossages, nous nous sommes intéressés à la symbolique des motifs utilisés en héraldique et en architecture. Les bâtiments religieux, civils ou militaires dévoilaient et accentuaient leurs fonctions initiales par leurs décorations extérieures, qu’elles soient spirituelles (symboles religieux), politiques (fleurs de lys, armoiries) ou dissuasives. Et c’est peut-être bien un message dissuasif qu’il faut comprendre dans la présence des bossages sur la Tour du Moulin.
L’irrégularité de leurs formes et de leur disposition correspond très bien au semis tacheté utilisé au Moyen-Age dans l’art et l’architecture pour exprimer le danger d’un personnage ou d’un bâtiment, comme l’expose brillamment Michel Pastoureau dans « L’Etoffe du Diable ». Cet historien, spécialiste des couleurs et des symboles écrit en effet : « Ce qui est tacheté a souvent à voir avec le pustuleux, le scrofuleux, le bubonesque et les maladies de peau qui sont redoutées à l’époque. Le tacheté représente le danger, un danger mortel ».
Tout simplement, on pourrait voir dans ces gibbosités une représentation des bubons de la peste. Ils auraient ainsi un rôle de repoussoir, ce qu’on appelle une fonction propitiatoire ou protectrice, la fonction d’éloigner la peste et le « mauvais œil » et a contrario d’attirer chance, fortune, bénédiction sur le couvent et la ville de Marcigny.
Autre hypothèse, plus matérialiste celle-ci. On sait qu’une pierre sculptée coûtait beaucoup plus cher qu’une simple pierre équarrie. Alors, sans nul doute, deux cents pierres sculptées étaient de nature à manifester la richesse et la puissance de l’abbaye et de la cité. Pour les voyageurs, marchands, soldats, qui arrivaient de l’est, la vue de cette tour avait de quoi imposer le respect.
On peut y voir aussi le symbole de puissance royale affirmée par Louis XI, car on retrouve ce décor sur beaucoup de châteaux ou structures datant de son règne. Enfin, certains pensent également que ce décor a été initié par les Croisés sur les châteaux construits en Terre Sainte.
En sachant enfin que certains y ont vu une représentation du ciel et des constellations, on peut avancer que les différentes hypothèses ne sont pas en contradiction les unes avec les autres, mais plutôt qu’elles s’additionnent. Notre curiosité n’en est pas assouvie pour autant et c’est sans doute le secret de l’intérêt, toujours renouvelé, que portent les visiteurs à la Tour du Moulin.
Où voir d’autres bossages ?
Château d’Ozenay près de Tournus : pourtour extérieur de l’enceinte, au-dessus d’une porte latérale : sept gibbosités.
Vézelay : porte neuve d’entrée de la ville. Nombreux bossages, à ceci près qu’ils sont présents sur toute la hauteur de la façade et répartis d’une façon hétérogène. Ce décor similaire sur un bâtiment purement défensif tendrait à confirmer cette fonction symbolique des « gibbosités » de la Tour du Moulin.
Château de Bougey (Haute-Saône) : même répartition hétérogène qu’à Vézelay.
Remparts d’Aigues-Mortes.
Remparts de Langres.
Bibliographie
Mesqui Jean, Châteaux forts et fortifications en France, Flammarion, 1997
Million Raymond, Les bossages en pustules : une curiosité de l’architecture militaire médiévale, quelques exemples dans l’est de la France, revue inconnue.
Vézelay : porte neuve d’entrée de la ville. Nombreux bossages, à ceci près qu’ils sont présents sur toute la hauteur de la façade et répartis d’une façon hétérogène. Ce décor similaire sur un bâtiment purement défensif tendrait à confirmer cette fonction symbolique des « gibbosités » de la Tour du Moulin.
Château de Bougey (Haute-Saône) : même répartition hétérogène qu’à Vézelay.
Remparts d’Aigues-Mortes.
Remparts de Langres.
Bibliographie
Mesqui Jean, Châteaux forts et fortifications en France, Flammarion, 1997
Million Raymond, Les bossages en pustules : une curiosité de l’architecture militaire médiévale, quelques exemples dans l’est de la France, revue inconnue.
